29/12/2019

Rachel

Quand je suis arrivée, on me l'a présentée comme une vieille lesbienne sans soutien gorge, qui fourre son nez partout. Je me suis dit que j'allais l'adorer. Ce fût le cas.

Elle s'occupait des chats du quartier. Johnny, mon chat, mon vieux compagnon, mon âme, l'a rencontré le premier. Elle gardait un bol plein de croquettes dans sa cour...  Elle avait un grand coeur, son franc parlé et une certaine pudeur malgré sa poitrine libre... Une pudeur du coeur qui venait de son époque. J'aimais aller crocheter dans son petit salon, où on se racontait nos vies de survivantes. Elle avait eu une femme dans sa vie, qui était morte un an plus tôt. "Mais je te jure Geneviève on a jamais couchées ensemble !". Je lui avais parlé des gens assexuelles. Ça semblait la soulager de pouvoir mettre un mot sur ce qu'elle avait vécu. Une histoire d'amour, une vraie, sans sexe... On parlait de notre attachement profond pour les chats, de nos périodes de vache maigre où on ne savait pas si nous allions manger, autrefois. Récits qu'il était rare de pouvoir partager avec des gens qui comprennent, qui l'ont vécu et peuvent en parler. "Quand je t'ai vu arrivée dans cet immeuble de parvenus, je me suis dit, c'est bien la première fois qu'il y a quelqu'un qui a de l'allure là !" Elle rentrait chez-moi sans frapper et savait tout les potins du quartier, pouvait être médisante ou flatteuse avec des gens qui ne le méritaient pas. On lui pardonnait, parce que malgré tout elle était loyale et franche. Moi j'étais malheureuse dans mon immeuble de parvenus et j'allais prendre l'air chez elle. L'été on se posait sur son perron et on se disait à demi mots combien on s'appréciait entre deux potins. Le soir elle aimait bien prendre un petit verre et sa langue se déliait. Elle remarquait un peu trop quand j'avais un décolleté. Elle me disait " C'est pas parce que c'est beau qu'il faut le montrer..."

Quatre ans ont passés, où mes parvenus devenaient de plus en plus lourds. Je suis allée pleurer chez elle quelques fois. Elle me disait : " Tu es mieux qu'eux, c'est ça qu'ils ne supportent pas". On avait le rêve que j'emménage à côté de chez elle et de partager sa cour. J'aurais jardiné, ce qu'elle ne pouvait plus trop faire... Elle n'aurait plus eu d'inquiétudes de déranger les voisins avec ses chats bien aimés. Mais ce n'est pas arrivé, le logement ne s'est jamais libéré. De mon côté ça devenait de plus en plus insupportable. Je devais partir. Nous étions tristes mais elle comprenait. Je la soupçonne d'avoir été curieuse de voir aller ce nouvel épisode du "roman de la rue Chabot". Alors J'ai trouvé un petit appartement dans Hochelaga et j'ai vendu le condo. Ce fût un véritable deuil. Je me foutais du condo, mais je connaissais les gens authentiques de cette rue, les animaux qui habitaient la ruelle étaient mes amis... Et Rachel... Alors je suis partie dans le plus grand désordre du coeur. Et là Rachel est tombée gravement malade. Une voisine m'a appelée pour me le dire. Je suis allée à l'hôpital. Rachel, ma viking en bermuda, ne pouvait plus parler qu'avec ses yeux qui pleuraient. À l'hôpital on m'a dit qu'elle était dans le pire moment, que ce serait long mais qu'elle irait mieux. C'était spectaculaire mais il n'y avait pas de danger pour sa vie. Elle avait le syndrome Guillain Barré. J'ai pris la décision d'aller la voir tout les jeudis soirs, je l'ai rassurée...
Comme je n'étais plus là pour prendre le relais avec ses chats, je m'étais assuré que notre voisine, son amie, s'en occupait. Je lui ai offert de lui faire la lecture, ce qu'elle a refusé. Je me sentais si impuissante... Je me disais c'est un mauvais moment a passer, mais que ça s'arrangerait. J'ai eu le temps d'aller la voir deux fois. Immobile, ne pouvant plus bouger, même pas un doigt. Ses grands yeux bleus ouverts et pleurants éternellement. Je ne savais pas que c'était les dernières fois que je la voyais.

Le téléphone a sonné, la même voisine m'apprenait en pleurant que Rachel était morte. J'étais sous le choc, ne sachant quoi dire. Je ne connais pas sa famille. Je ne sais pas ce qui s'est passé. On a dit qu'elle avait fait le choix d'être débranchée des machines qui l'a maintenaient en vie. Le pronostic était finalement mauvais? Elle voulait rejoindre son amoureuse? En voulant la rassurer on lui avait enlever ce qui l'a rattachait à la vie? Comme ce devait être atroce d'être immobile sur un lit d'hôpital sans pouvoir manger, rire, parler... pendant des semaines ! Avait-elle pris une décision éclairée? Dans la même situation est-ce que j'aurais fait pareil?

Personne ne m'a prévenu pour ses obsèques. Elle me manque. Je me suis rendue compte que son numéro était le plus fréquent dans mon historique de téléphone, que nous avions une amitié qui passait sous les radars. Dans notre dernière conversation, on prévoyait qu'elle vienne voir mon nouvel appartement et elle me disait qu'elle prendrait soin de Couscous, un chat qui aimait venir chez-moi...
Elle aimait que je lui fasse découvrir de nouveaux restos, c'était notre truc... Je prends souvent la même table, et le même plat (qu'elle avait adoré) chez Antidote, ma façon de passer un peu de temps avec elle.

24/11/2019

Le dimanche matin

Moi le dimanche matin, vers 6-7 heures, je prends mon café et
mes deux cigarettes dans le giron de ma brume entourée par les
itinérants du quartier qui m’ont acceptées comme l’une des leurs.
Je ne réalisais pas jusqu’à ce matin, un gars m’a dit : 

Gars- Salut l’Église ouvre juste à neuf heures
Moi- Ho je viens pas pour déjeuner, je viens boire mon café du matin. (en montrant mon café dans un pot mason)
Gars- Ha j’aurais cru il me semble que je te vois souvent...
Moi- Ouais je viens souvent prendre mon café sur le banc en face de l’Église
Gars- Ha tu es une personne qui prend ça relaxe

Et il est allé faire la file parfaitement satisfait de cette conclusion.

J’ai choisi un banc au hasard le jour où je suis arrivée dans le quartier.
Force est de constater que c’est là que je me sens le mieux
pour commencer ma journée de congé.

Et bien plus tard...



Retour à moi après ce que l’on appelle un burnout ou un trouble d’adaptation selon le billet du médecin... Ma psy m’a demandé comment je vivais avec ce terme. Sur le coup je m’en foutais ce n'était que des mots qui me permettait d’éviter du trouble avec les assureurs... Mais aujourd’hui je me dis que ce sont les mots parfaits. J’ai de la difficulté à m’adapter... au monde dans lequel je vis. Je ne comprends pas comment m’adapter au monde en général. Et j’ai l’intuition que c’est sain. Comment être serein dans un environnement où les bruits, les odeurs, les textures de la nature ne sont plus accessibles. Où l’agressivité, passive ou pas, est quotidienne. Où les personnes vraies et disponibles sont si rares. Je refuse et, refuserais toujours, de m’y soumettre complètement, d’abandonner ce que je sais être l’essence précieuse de notre existence. Je suis sensible et empathique, méfiante et secrète aussi. On associe la sensibilité à de la faiblesse et moi je pense que c’est ma plus grande force. J’en paie le prix souvent. La preuve je me suis épuisée à essayer de me conformer à l’ ”inconformable” (pour moi en tout cas). Mais ce n’est pas en vain, maintenant je me rapproche de ma vraie nature et je sais que mon refus d’elle me tuerais à petit feu... Alors à 46 ans j’avance à petit pas d’enfant, j’observe tout. J’apprend à respecter ma nature, à évaluer les limites, plutôt que de me fixer une cible et me battre, plutôt que de fuir dans les distractions que la société nous offre si abondamment pour oublier. J’apprends des animaux de ma vie, les êtres qui me comprennent et que je comprend, qui ont cette capacité naturellement. Je ne suis pas, et ne pourrait l’être, cette personne qui travaille pour sa retraite et son plan d’assurance. Pour avoir congé les jours fériés des fonctionnaires. Ça n’a pas de sens, pour moi, de me rendre malade pour profiter de mon plan d’assurance qui me permet de prendre des journées de maladie... ? Pour avoir un bon salaire qui me sert à payer Netflix, Amazon Prime, des frais de condo et des restos qui me permettent d’oublier que je suis dans un bureau où les fenêtres ne s’ouvrent pas, à faire des choses qui n’ont pas un réel sens pour moi. L’anxiété est le fruit d’une société qui ne ressemble pas à notre essence animale et qui exige des capacités d’adaptation de plus en plus exigeantes, ce qui laisse certains d’entre-nous sur le bord de la route. Pas les plus paresseux, pas les moins intelligents mais les plus vrais...